Tugdual DERVILLE, délégué général d’Alliance, initiateur et animateur du projet
1/ Pourquoi « parlons la mort » ?
…Pour plus de vie ! C’est ce que signifie le titre complet de notre campagne : « Parlons la mort, pour la vie ». Nous ne prétendions pas lever au forceps ce que le tabou sur ce concept de « mort » a d’inévitable, voire de précieux, mais libérer une parole personnelle sur ce sujet. Nous avions l’intuition qu’il en naîtrait quelque chose de vivant. Et nous n’avons pas été déçus.
2/ En quoi faudrait-il davantage parler de la mort ?
La peur, la souffrance et la peine provoquées par la mort dans un monde qui la considère avec de moins en moins de familiarité, où les rites de deuil ont pratiquement tous disparu, en ont fait un sujet interdit pour beaucoup. Or, l’expérience de notre service d’écoute, SOS fin de vie, nous a montré qu’offrir aux personnes, et spécialement les personnes endeuillées, un espace d’écoute était essentiel. Il est nécessaire de se sentir compris pour être consolé et retrouver des forces de vie.
3/ La mort n’est-elle pas d’abord un tabou ?
Partiellement oui, les sociologues comme Tanguy Chatel que nous avons interrogé nous le rappellent. Comme le soleil, soulignait Chateaubriand, on ne peut la regarder en face. Mais, en France, elle est carrément comme éclipsée. Au point de ressembler à un énorme secret de famille enfoui dans l’inconscient. Ce genre de secret agit comme une chape de plomb. Tout se passe comme si une conspiration du silence avait rejeté la mort de la vie… Plus on se tait, plus un tel secret produit des effets dévastateurs, jusqu’à entraver la capacité de vivre. C’est l’interdit mortifère qui pèse sur la question de la mort que nous avons voulu contredire.
4/ Aborder avec les passants un tel sujet, n’est-ce pas intrusif et indélicat ?
Nous pouvions le craindre. En préparant cette campagne, nous avons pris soin de former nos volontaires à une écoute empathique, celle qui accueille les émotions et paroles exprimées sans les induire ni les juger. Pour ne pas forcer l’intimité des personnes rencontrées, nous avons soigné la façon d’engager la conversation : le mot mort, trop cru s’il est tout nu, a été présenté dans un écrin : « Nous travaillons sur la question de la fin de vie et de la mort ; nous savons que ce sont des sujets sensibles et souvent douloureux, mais, justement, nous aurions besoin de votre expérience et de vos réflexions ». Les passants ont été réceptifs. Au-delà de ces précautions, ce sont les résultats qui parlent…
7/ Pourquoi, selon-vous, la mort incite à la fraternité ?
La mort, c’est notre seul patrimoine vraiment commun. Face à la mort, nous sommes tous sur le même pied. Les hiérarchies sont aussitôt dépassées. La mort est un sujet grave mais simple : il rend dérisoire tout ce qui touche à l’apparence, à l’argent, au pouvoir. La mort n’est pas seulement le seul évènement – avec la naissance – qui est commun à toute personne humaine. La mort ouvre à la fraternité universelle parce qu’elle nous situe tous en « mortels », c’est-à-dire en être fragiles, finis. Et qui ont besoin les uns des autres. C’est particulièrement vrai aux deux bouts de la vie, sauf pour les promoteurs de l’utérus artificiel et de l’immortalité.
Penser, et parler la mort nécessite une infinie délicatesse, mais cela nous incite tous à vivre de façon plus concentrée, moins trépidante, paisible. En un mot, vraiment humaine.